berangere: (jomon doki)

   Tottori (!), préfecture habituellement représentée sur ce journal par ses sites du Yayoi, s'est dit qu'il était grand temps d'être formidable au Jōmon aussi. Et nous lui en savons gré !  D'autant plus qu'elle fait ça fort brillamment.

  Trois sites sont fouillés sur la rive sud de l'étang de Koyama depuis le mois d'avril, mais c'est Takazumi Idezoe (高住井手添遺跡, ville de Tottori, préfecture de Tottori) qui retient aujourd'hui notre attention.

  Le site de Takazumi Idezoe s'étend sur 4.000 m² et présente des occupations du Jōmon Ancien (4.000 BCE) au Yayoi Récent (200 CE). Dans le coin nord-est de la zone fouillée on a retrouvé le lit d'une ancienne rivière qui coulait là au Jōmon Final (de 1.000 à 500 BCE environ). Cette rivière a été comblée au tout début de l'adoption de la civilisation Yayoi dans la région. Et qui dit lit d'une ancienne rivière induit souvent "milieu humide anaérobie", particulièrement propice à la conservation des éléments en matières normalement périssables.

  Et cela n'a pas manqué, nous avons de la vannerie ! Dix panier en tout, ce qui correspond au plus grand nombre de paniers découverts sur un site jōmon pour cette préfecture. La vannerie préhistorique japonaise fait l'objet d'une typologie précise (qui cela étonne-t-il ?) à laquelle vous pouvez vous initier en téléchargeant ce pdf, de Yanagihara Shoko, si vous avez comme moi une fascination particulière pour tout mobilier archéologique qui sort de l'ordinaire (ou pour les paniers).

  Je ne résiste pas plus longtemps, voici une débauche d'images :


Remarquez les jolis motifs décoratifs avec les brins plus gros au milieu du tressage.
Il s'agit du panier #8, particulièrement bien conservé vu qu'il ne manque que le fond et le bord.

Le reste sous un cut )

   Dix paniers donc. Selon notre amie Yanagihara Shoko, ils sont tressés avec la technique mojiri ami もじり編み. Ami 編み est un terme générique s'appliquant à tout ce qui est tricot, tressage ou vannerie et mojiri もじり signifie "tordre". Comme on ne voit bien sur les photos, les brins verticaux de la chaîne sont très espacés et les brins horizontaux de la trame sont groupés par deux avec une alternance simple (= un dessus, un dessous, un dessus, un dessous...).
  Les fibres utilisées, de 2 à 3 mm de diamètre, sont du cyprès hinoki (Chamaecyparis obtusa) pour la chaîne et du jasmin étoilé jaune (Trachelospermum asiaticum) pour la trame. La découverte de ces fibres en grande quantité sur le site laisse penser que les paniers étaient fabriqués sur place.

  Sur ces dix paniers, huit ont été retrouvés en place dans le lit de la rivière qui, elle aussi, comporte des structures intéressantes. Cette rivière a en effet été barrée à deux endroits par des troncs d'arbres de 30 à 50 cm de diamètre afin d'en réguler le débit.


Entourée en rouge entre les deux barrages, la zone où on a trouvé la plupart des paniers.

Encore un cut )
  C'est également dans cette partie de la rivière entre les deux barrages qu'on a retrouvé une quantité importante de fruits à écale (des marrons et des glands), concentrés dans trois endroits, dans lesquels on a retrouvé les paniers.



  Il semble donc que nous soyons en présence d'un site de rinçage des fruits à écale. Contrairement à la châtaigne, le marron et le gland sont riches en tanin et autres substances assez toxiques qui les rendent impropres à la consommation tels quels. Il est nécessaire de leur faire subir un rinçage soutenu pour supprimer les substances astringentes et pouvoir les manger (et accessoirement, l'immersion dans l'eau tue également les parasites).

  À noter que l'occupation yayoi du site comporte un fossé qui a été creusé après le comblement de la rivière, dont la paroi ouest a été recouverte d'écorce d'arbre pour qu'elle soit moins sensible à l'érosion entrainée par l'eau courante. La céramique retrouvée à proximité est du Yayoi Moyen. Dans un autre fossé tout au nord de la zone fouillée, daté du Yayoi Récent, on a retrouvé 30 noyaux de pêche, qui ramènent sur le devant de la scène la théorie prêtant aux pêches un caractère magique.

Les sources ! )
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  Le service de presse du site de Makimuku (ville de Sakurai, préfecture de Nara) tente de rivaliser avec celui de Gossakaito et nous gratifie de deux articles en deux jours ! En plus plein de sensationnalisme, en relation avec le mythique Yamatai, la non-moins mythique Himiko, le tout saupoudré de pratiques rituelles.
  Car oui, la préfecture de Nara est un (des nombreux) candidats sérieux pour être le mythique royaume du Yamatai.

  On vient de retrouver sur le site de Makimuku un... trou (il n'y a pas d'autre mot) de taille conséquente (4,3 m du nord au sud, 2,2 m d'est en ouest et 80 cm de profondeur : peut-on encore appeler ça un silo ? en plus, il semble que ça n'en sois pas un) du milieu du IIIè siècle CE, qui contenait 2000 noyaux de pêche disposés dans des paniers en bambous.



2000 noyaux de pêche ! Est-il nécessaire de préciser que c'est la première fois que l'on retrouve autant de noyaux de pêche dans un même ... trou ?
  Les conditions de conservation sont telles que la chair a été préservée dans un cas et que l'on a pu établir la présence d'individus immatures (mince, je parle comme une anthropologue... une pêche pas mûre, donc), on peut ainsi raisonnablement penser qu'il ne s'agissait pas de déchets de consommation et donc, l'explication préférée des archéologues lorsqu'ils ne comprennent pas l'utilité d'un acte, artefact, bâtiment... a pu être avancée : il s'agit d'un dépôt rituel !
  Dans l'Antiquité chinoise (et donc également japonaise), la pensée Shenxian professait que les pêches avaient un pouvoir particulier procurant longue vie et protection contre les forces du mal. Le doute n'est donc plus permis !

  Ajoutons à cela le fait que nous sommes à Nara, un des possibles candidats au titre de Yamatai, dont la reine Himiko était une sorcière, et nous pouvons logiquement conclure qu'il s'agit là des pêches de Himiko elle-même ! Les dates correspondent ! Bon, le raccourci journalistique est excusable, il faut bien vendre...

  D'un point de vue un peu plus scientifique, on peut noter que le trou recoupe les restes d'un très grand bâtiment, qualifié de palais, et qu'il aurait donc été creusé après son abandon.

  Le lendemain, dans le même journal, le Comité d'Éducation de la ville de Sakurai annonçait la découverte d'un fragment de cloche en bronze (instrument rituel s'il en est, j'avoue que même moi, sur ce coup, je ne trouve pas grand chose à redire à ça...), daté du IIè siècle CE et d'une habitation d'une puissante famille de la fin du Vè siècle ou du début du VIè siècle CE (ce type de résidences semble assez rare dans la région de Nara pour cette période).
  Le fragment de cloche mesure 3,7 cm de long pour 3,2 cm de large et 3 mm d'épaisseur, mais la cloche dont il provient devait mesurer environ 1 mètre de haut (incroyable tout ce qu'on peut faire dire à un bout de bronze de 10 cm²...).



  Cette découverte peut être rapprochée de celle d'un autre fragment de cloche en bronze, trouvé en 1972 sur le même site, à environ 100 mètres. Des analyses doivent être effectuées avant de pouvoir affirmer qu'il s'agit de la même cloche.
Ishino Hironobu, conservateur du musée archéologique préfectoral de Hyogo et responsable des fouilles en 1972, parle de rituels liés à l'établissement et à l'abandon du palais : la cloche aurait été volontairement brisée lors de la fondation d'un palais, et les pêches enfouies lors de son abandon. D'autres fragments de cloches brisées ont été découverts dans la même ville, sur les sites de Wakimoto et de Daifuku, datés du début du IIIè siècle CE, ce qui pourrait être un indice d'une pratique récurrente : les cloches sont brisées et la majorité du métal est réutilisé par la suite.
  Le site de Makimuku a déjà livré un certain nombre d'artefacts qualifiés de rituel : des instruments en bois en forme d'épées, de la vaisselle en céramique miniature et même un arc recouvert de laque noire. Les instruments en bois et la vaisselle sont retrouvés brisés, et on pense qu'il s'agit d'une destruction volontaire pendant un rituel ou après sa réalisation.

  L'autre découverte, donc, est celle d'un fossé, pavé de pierres d'une largeur de 4,5 mètres. La profondeur conservée est de 80 cm. Il est interrompu sur 8 mètres pour donner accès à l'espace qu'il enclot et a été fouillé sur 16 mètres au nord de cette interruption et 6 mètres au sud. L'habitation se situe à l'est.





  On connaît, à proximité immédiate, un kofun (tombe en tumulus *très* spectaculaire) contemporain qui pourrait être la tombe du propriétaire de cette résidence (ce que l'on ne pourra bien évidemment jamais prouver, sauf si les experts las vegas viennent récupérer des cellules épithéliales fossiles sur la céramique à l'intérieur de l'habitation et comparent l'ADN à celui des os que l'on n'a certainement pas retrouvés dans le kofun compte tenu de l'acidité du sol japonais...) (mais ne sous-estimons pas les experts las vegas : ils ont déjà fait beaucoup plus fort, et avec beaucoup moins de matériel).

  Au moins, vu que l'habitation date du Vè siècle, on ne va pas parler de Himiko pour cette découverte ci. Enfin, il y a toujours la possibilité de parler de ses descendants... par son frère. Elle, elle n'en a pas eu.
  Voilà bien le travers de l'archéologie des périodes historiques : on court après les textes. On aurait pu penser qu'on serait relativement tranquilles au Japon, vu que l'écriture n'a pas été introduite avant l'adoption du bouddhisme au VIè siècle, mais c'était sans compter sur les voisins chinois, très forts en écriture, vu qu'ils l'ont inventée (avec l'état, le moyen-âge, l'administration...) à une époque où certains d'entre nous n'avaient même pas encore entendu parler du concept d'agriculture. Voisins chinois, donc, qui ont fourbement laissé trainer une référence à un "pays des wa" dans une chronique du IIIè siècle.

「Going south by water for twenty days, one comes to the country of Toma, where the official is called mimi and his lieutenant, miminari. Here there are about fifty thousand households. Then going toward the south, one arrives at the country of Yamadai, where a Queen holds her court. [This journey] takes ten days by water and one month by land. Among the officials there are the ikima and, next in rank, the mimasho; then the mimagushi, then the nakato. There are probably more than seventy thousands households. (115, tr. Tsunoda 1951:9)」

  Donc, le Yamatai, là, c'est au Japon.
邪馬台 veut dire 「le pays des chevaux maléfiques」, c'est vrai que les chevaux maléfiques sont une spécialité bien connue du Japon. (on peut toujours avancer que les chinois ont pris des caractères au hasard pour retranscrire les sons d'un nom étranger... )

C'est la même chronique du Wei Zhi qui parle aussi de la reine Himiko.

「The country formerly had a man as ruler. For some seventy or eighty years after that there were disturbances and warfare. Thereupon the people agreed upon a woman for their ruler. Her name was Himiko [卑彌呼]. She occupied herself with magic and sorcery, bewitching the people. Though mature in age, she remained unmarried. She had a younger brother who assisted her in ruling the country. After she became the ruler, there were few who saw her. She had one thousand women as attendants, but only one man. He served her food and drink and acted as a medium of communication. She resided in a palace surrounded by towers and stockades, with armed guards in a state of constant vigilance. (tr. Tsunoda 1951:13)」

卑彌呼 peut être traduit par "cri complètement vulgaire". Alors là aussi on peut dire "oui, le chroniqueur pas très sympa a choisi des caractères pour retranscrire un nom étranger". Après tout, ce ne serait pas la première fois que quelque chose de non-chinois serait dévalué dans une chronique chinoise. Elle étaient écrites dans ce but. Le même chroniqueur (ou un autre) un peu plus loin appelle un roi coréen Himikuku 卑彌弓呼. La même chose, sauf qu'on rajoute un arc 弓 au milieu... Troublant quand même non ?

  Et nous voilà avec un pays localisé très vaguement et une reine-sorcière sur les bras...
  En fait, le Yamatai et Himiko, ce sont un peu les Camelot et Arthur japonais. De très fortes présomptions d'une existence réelle, 98% de légendaire rajouté par dessus et aucune localisation possible.
  La polémique est pas près de s'arrêter, dommage que les gens du IIIè siècle aient pas pensé à faire des panneaux en pierre gravée avec écrit "Bienvenue au Yamatai" et "le Yamatai vous remercie de votre visite"...
Les sources... )


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